Pour compléter l’annonce de la conférence que j’ai faite samedi 14 mai à Venterol, je réédite ici, avec quelques remarques complémentaires, un ancien article que j’avais publié sur mon blog le 10 septembre 2009.

Le premier se situe au-dessus d’une porte de maison, au début d’un passage débouchant juste en face du perron de l’entrée de l’église.

Ce blason est daté de 1778. On y voit, en chef : un compas entrouvert ; dans le champ, à senestre : une équerre, un maillet et un ciseau, à dextre : une grande polka (marteau taillant à tranchants opposés) et un petit marteau taillant bretté ou une boucharde (le rapport d’échelle avec la polka suggère qu’il s’agit plutôt d’une boucharde, mais le dessin encore très net des dents me laisse à penser qu’il s’agit d’une bretture) ; enfin, en pied : une règle. Une inscription court sous la règle et le ciseau : « ARIS ET ARMIS DE F. M. M.. M » (voir mon interprétation à la fin).

Le second blason est situé lui aussi au-dessus d’une porte, au début d’un soustet qui descend de la rue bordant le flanc sud de l’église.

Non daté, il présente la même composition d’outils, leur dessin étant à peu près semblable (le maillet est plus réaliste). Trois différences toutefois : l’encadrement qui était d’une simple bordure en arabesque sur le premier blason est devenu ici une couronne végétale (la forme des feuilles évoque davantage l’olivier dont c’est ici un fief, mais l’absence de fruits me fait pencher pour du laurier) ; un carré évidé et posé sur la pointe sous la règle ; l’absence non seulement de date mais aussi d’inscription.

Bien qu’étant en moins bon état de conservation que le premier exemple — qui est protégé par un auvent, lui-même protégé par l’orientation et l’étroitesse du passage —, je pense qu’il lui est postérieur et qu’il ne date peut-être même que du tout début du XIXe siècle. On perçoit encore dans les fonds des traces de l’emploi de la boucharde, tandis que ceux du premier, où l’on observe parfaitement les traces de taille, ignorent cet outil dont l’usage ne s’est généralisé qu’au XIXe.

Dans tous les cas, ces dispositions blasonnées des outils de tailleur de pierre sont caractéristiques des XVIIe-XVIIIe siècles. Je donnerai ici comme exemple le dessin ornant la reliure du registre de la communauté des maîtres maçons et tailleurs de pierre de Lyon datant de 1778 — c’est-à-dire de la même année que le premier exemple de Venterol.

Outre le compas disposé exactement de la même manière (en chef, au-dessus de la règle), on distingue des outils disposés de manière similaire, avec quelques éléments en plus — l’archipendule, la truelle et le fil à plomb — qui symbolisent en la circonstance la pose des pierre, c’est-à-dire le travail du maçon au sens actuel du terme (sens qui se dessine justement au XVIIIe siècle, le sens ancien étant plutôt celui de tailleur de pierre). Le blason de la communauté de métier est encadré par une branche d’olivier (on distingue les fruits) et une palme, selon une iconographie et une symbolique classiques que j’ai étudié dans mon étude sur le blason des Compagnons tailleurs de pierre, Le Serpent compatissant.

L’inscription « AR[T]IS ET ARMIS DE F. M. M.. M » du premier blason de Venterol est susceptible d’être interprétée ainsi (en corrigeant le « ARIS » en « ARTIS » : « Art [c’est-à-dire métier] et armes [blason] de F[rançois ?] M[nom de l’artisan], Maître Maçon. »

Ces maîtres maçons/tailleurs de pierre furent-ils également, dans leur jeunesse, compagnons « du Tour de France », Passants ou Étrangers ? En l’absence d’éléments plus déterminants dans l’inscription et l’iconographie, c’est impossible à affirmer mais c’est très probable car nous sommes là dans une profession largement compagnonnisée à l’époque. Mais le nom de Venterol, comme celui de Nyons et des villages alentours, est absent des archives des compagnons passants tailleurs de pierre que j’ai pu étudier jusqu’à maintenant, notamment des Rôles d’Avignon (cf. Travail & Honneur et la liste détaillée des 1039 passages de Compagnons enregistrés sur ces Rôles aux XVIIIe et XIXe siècles).

La cartographie des implantations et origines géographiques des Passants listés à Avignon montre bien que nous sommes là dans une région dont ils sont, malgré la proximité d’Avignon, quasi totalement absents car il s’agit d’une zone occupée par les Étrangers, la ville de Lyon ayant été emportée par ceux-ci sur les Passants à l’issue d’un concours qui se serait déroulé au début des années 1720 (voir une carte provisoire, basée sur des sources moins importantes que pour les Passants : la densité du gris traduit leur présence dans les zones partagées avec leurs rivaux, tandis que celle du magenta concerne les zones qui leur sont exclusives ou peu s’en faut).

Par ailleurs, mes recherches les plus récentes (2022) m’incitent à privilégier l’attribution à d’anciens compagnons Étrangers.

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